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nickel, ce qui est nickel, est à l’origine sans couvercle - (Gertrude Stein - Tendres Boutons)

LE ROI GORDOGANE
de Radovan Ivsic


les 10, 11 et 12 juillet à 21h30, 
Maison de Rabelais (cour du café Mathis)
Entrée libre
Une coproduction du Studiolo 
et du Théâtre Universitaire de Metz
Soutenue par la Ville de Metz dans le cadre 
de l’opération « Metz en Fête »

 
 

Mise en scène : Olivier Goetz
Décors et costumes : Dominique Fabuel
Avec : 
 
Guy Didier 
Serge Renda 
Stéphane Carlino 
Stéphane Thierry  Elric Vanpouille 
Charlotte Picard
Joël Helluy 
Émilie Hesse
Magali Montier 

Dans un royaume qui n’a pas de nom, le palefrenier Gordogane a assassiné son souverain, le Roi Blanc, afin de s’emparer du pouvoir. Il a fait enfermer la princesse Blanche, la belle orpheline de la tour blanche. Malheur au gibier de potence qui ne possède plus d’or pour payer ses impôts ! Gordogane lui fera crever l’œil et couper l’oreille et, pour finir, il le « tsaf !  », comme il dit lui-même, de ses propres mains !

Tinatine, le fils du tyran sanguinaire, pense bien, comme tout le monde, à tuer papa mais comment s’y prendre ? bêtement énamouré, il manque de la plus élémentaire énergie…

Comme dans Shakespeare, un Fou, à travers son délire verbal, parvient plus ou moins à démêler l’écheveau de la folie du monde… en vain ! son parasitisme et sa couardise le confinent dans un rôle purement décoratif.

Enfin, quelques paysans stupides (devenus, par une bizarrerie de notre spectacle, de jolies paysannes) n’apportent aucune contrepartie matérialiste à l’obscur dessin d’une tragédie composée avec les éléments d’un conte pour enfants : château, forêt, chevalier,…

La pièce, écrite en croate,  en 1943, par un tout jeune homme,  a déjà rencontré son public français puisqu’elle a été diffusée sur les ondes  en 1956.  La distribution de la Radio-diffusion-Télévision Française comprenait, entre autres noms éblouissants, ceux de Michel Bouquet, d’Alain Cuny, de Jean Topart, d’André Bruno, de Daniel Sorano…  Malgré ces brillants débuts, qui connaît, aujourd’hui, Le Roi Gordogane , en dehors, peut-être, de quelques spécialistes de littérature croate, de passionnés de surréalisme, de rares amateurs de curiosité spectaculaires ? Radovan Ivsic, qui vit aujourd’hui à Paris, reste un poète à découvrir…

Sans doute, la critique dramatiques des années 50, obéissant au clivage académique qui sépare un théâtre à thèse (Sartre, Camus) et un théâtre poétique — surtout sous sa forme dite « de l’absurde »—  ( Beckett, Ionesco), n’a pas su prendre en compte cet objet atypique. Mais un même aveuglement ne retarda-t-il pas la reconnaissance de Brecht ? La greffe allemande, tentée par les partisans de la revue Théâtre Populaire (Dort, Barthes), échoua largement (malgré Adamov). Au reste, rien ne semble devoir rapprocher Radovan Ivsic de Bertolt Brecht, si ce n’est que, chez l’un comme chez l’autre, la pensée déologique adopte toujours une forme esthétique très soignée : à la fois « indirecte et transitive » (Barthes).

Issu de son propre pôle géographique et de sa propre souffrance historique, Le Roi Gordogane répond parfaitement à cette formule. On en affaiblirait considérablement la portée en le réduisant à une simple thèse (à une thèse simple) ou en l’enfermant dans le système de ses inventions verbales.

Et, à vrai dire, si pour et les tenants du théâtre épique et de la Méthode de Stanislavski, la question qui se pose, avant tout, au metteur en scène, est celle du sens : « Qu’est-ce que je veux dire par cette pièce ? », il est possible, que le Roi Gordogane ne soit pas, de ce point de vue, un très grand texte de théâtre. Non que la machine dramatique manque d’habileté mais parce qu’elle n’est soutenue par aucun grand discours, pas même celui de la « Révolution Surréaliste ».

Or, ce qui fait la faiblesse d’un texte à un moment donné peut très bien constituer sa force à un autre moment. C’est le pari qu’ont voulu lancer les artisans de cette production qui associe le Tum  au Studiolo. Car, après tout, c’est moins que Le Roi Gordogane ne veuille  rien dire, qu’il dise, tout simplement, qu’il ne dit rien, et qu’il entraîne son lecteur (son spectateur) dans le tourbillon musical de sa propre décomposition. Tout au long de ses cinq actes, la pièce fait rouler des mots et des images  au fond d’un ravin d’oubli.  L’histoire racontée, d’un concert de voix, est celle d’une chute poétique dans le fond d’un trou noir. A la fin, il ne reste que l’écho de ces « cris arrachés du plus profond des tourbillons du lac au mercure » (R. Ivsic).

Pourtant, comme il se doit,  le spectacle reste toujours plaisant.  Un roi, un prince, une dame, un chevalier, un fou, des vilains qui se croisent sur la scène laissent présager la reconstitution de quelque jeu médiéval. Pour un peu, on s’attendrait à entendre « Démons et Merveilles » et le battement fossilisé du cœur des amants des Visiteurs du soir… Analogie secrète ? Empreinte d’une époque douloureuse, plutôt ; sous la botte de l’envahisseur nazi, à Zagreb comme à Paris, le moindre reflet de soleil enchante l’herbe verte… Au cinéma comme au théâtre, la catastrophe est assez drôle et, même, assez joyeuse, égaillée par le cri du diable ou par les soupirs de la fée.

Est-ce, pourtant, la même eau qui coule, claire et fraîche, dans le film de Marcel Carné et, tout aussi fraîche (y nagent de petites truites !) dans la pièce de Radovan Ivsic ? Pas tout à fait. L’amour naïf du scénario de Prévert développe en positif la version négative du poète croate. De la rencontre fortuite, au bord de la fontaine, entre une oie blanche et un chevalier amnésique, rien ne résulte. Ils ne se marieront pas et n’auront pas d’enfants ; ils ne seront pas non plus, comme Gilles et Dominique, ni tous les Roméo et Juliette, réunis dans le même tombeau. Blanche finira au bout d’une corde tandis que le Chevalier, enivré par l’évohé d’une jolie bacchante (le rire strident de Joline) s’égarera dans la forêt.

Le travail de lecture et d’interprétation du texte consiste à se mettre au diapason de sa musique, à en faire résonner les troublants harmoniques. La formule secrète, l’alchimie du spectacle consistent à réunir et à faire tenir ensemble ces deux faisceaux sonores : la voix multiple des personnages (en fait, la voix unique de l’auteur),  la voix multiple des acteurs  (la mise en scène). Solliciter l’énergie contrastée de ces tensions qui se croisent, exerçant, chacune, sa force au cœur d’un dispositif qui, petit à petit, se stabilise, tout en essayant d’en conserver les propriétés conductrices, encore une fois, ce n’est pas faire de l’herméneutique. C’est expérimenter la figure qui révélera, peut-être,  le moment venu, ce « trésor des Mayas » dont parle Radovan Ivsic dans un de ses poèmes, et qu’il faudrait être fou, à l’ occasion d’un soir d’été, pour ne pas tenter d’exhumer.

O.G.

1 Une version française du Roi Gordogane,   traduit par l’auteur, a été publiée, en 1968, aux Éditions Surréalistes (épuisé).
2 Cf. Antoine Vitez, « La “Méthode des actions physiques” », in Théâtre Populaire, n° 4, 1953, p. 28.
 

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